Un Titre-Rébus
Toute cette aventure a débuté par un rébus brandi, sans préméditation, par Pierre Fourny et qui laissa l’équipe d’ALIS… sans voix…
MAIN – TENANT – LE PASSÉ… Maintenant le passé !
Un titre rébus-antilogique?
Définition du rébus : A. − Devinette graphique mêlant lettres, chiffres, dessins, dont la solution est une phrase, plus rarement un mot, produit par la dénomination, directe ou homonymique, de ces éléments.
Définition de l’antilogie : I.− LITT. (styl., rhét.), LOG. Contradiction entre deux ou plusieurs idées d’un même discours, tel ou tel passage d’un même écrit, entre telle ou telle opinion d’un même auteur dans des ouvrages différents .
MAIN // TENANT // LE PASSÉ
Maintenant le passé !
C’est ce titre rébus qui a mis Pierre Fourny sur la voie d’une nouvelle recherche (sur le rôle de la main dans l’évolution du langage) et d’une nouvelle création. La première impulsion est venue, comme toujours pour Fourny, d’un contact graphique et décomplexé à la langue.
Tout comme pour les travaux précédents d’ALIS (La langue coupée en 2, La coupure, L’âme hors du signe, Le cirque de mOts …) le titre pointe la réflexion-digression sur le langage. Il montre aussi le caractère ludique des manipulations qui jalonnent, en même temps qu’elles la manifestent, cette réflexion, avec la légèreté des mots, et des jeux qu’on peut leur fait jouer, légèreté qui fait merveille dans cette quête à la gravité enfantine.
Mais il cherche aussi, plus spécifiquement, à proposer une expérience.
La main en train de tenir les mots « le passé » est présente, elle dure, alors que les mots écrits qu’elle tient viennent du passé (pour être lus, il faut bien qu’ils aient déjà été écrits). Ils désignent, qui plus est, le passé-même, relancé par la lecture dans le présent du bruissement de la langue française : le passé (re)présenté donc par la main.
Il y a la main et il y a le mot « passé » : deux temps, simultanément… En conjugaison, ce temps là s’appellerait le « passé présenté ».
Et puis cette association visuelle d’une main présentant un mot, c’est-à-dire, tenant un mot – au-delà du carambolage temporel auquel il soumet le lecteur – constitue également un rébus : « Main tenant le passé » et fait de cette main en action un autre mot (maintenant)… d’autant plus expressif qu’il s’agit d’une antilogie (rapprochement de termes dont le sens est contraire).
Antilogie… quoique… Il ne s’agit pas d’une simple convocation du passé, pour le faire nostalgiquement durer, le reconduire éternellement dans le présent, mais, au contraire, de la seule manière de fabriquer du sens, et le futur.
L’équipe d’ALIS
Mots-images, Mots-objets
Pierre Fourny ne cesse de vouloir nous faire jouer avec l’image des mots et leur matérialité.
La langue et ses représentations graphiques
Jouer avec la langue
Jouer avec la langue, ses mots et ses lettres, est un exercice intellectuel passionnant et les plus grands auteurs se sont intéressés à la création de tautogrammes, holorimes, contrepèteries et autres triturations, de François Rabelais à Alphonse Allais, de François Villon à Umberto Eco.
L’Ouvroir de Littérature Potentiel (OuLiPo) a érigé en art littéraire l’utilisation et l’étude systématique de ces triturations, couramment désignées sous le mot de contraintes. La Table des Opérations Linguistiques Littéraires Élémentaires (dite TOLLÉ), conçue par Marcel Bénabou propose un inventaire de ces contraintes ayant trait aux simples « objets linguistiques » comme la lettre, ou la syllabe jusqu’aux plus complexes « objets linguistiques » comme la phrase ou même le paragraphe (« La règle et la contrainte », Pratiques, n° 39, octobre 1983, 101-106). La Table propose ainsi plus de vingt transformations relatives aux seules lettres dans un mot !
Regarder les mots écrits comme des images
Le grand typographe Massin, littéralement amoureux d’alphabet, rappelle dans une somme encyclopédique, La lettre et l’image (Gallimard, 1970, réédité en 1993) que les lettres ont d’abord été des images et que tous les alphabets latins se sont efforcés de retrouver des dessins parlants, des signes-choses, des lettres-objets (fleurs, animaux…). Il souligne que Platon demandait déjà, par la bouche de Socrate, que les lettres eussent une ressemblance avec les choses. Plus tard, Heumpty Deumpty (parfois traduit par Rondu-Pondu en français) dira à Alice, dans le roman De L’autre côté du miroir de Lewis Carroll : « Mon nom signife la forme que j’ai».
La transformation des lettres elles-mêmes, produisant de nouvelles images, fait l’objet d’une créativité intense de la part d’auteurs, de dessinateurs, de typographes… On pense à tous les alphabets cryptographiés aux tracés réinventés, tel l’alphabet dansant d’Edgar Allan Poe au XIXe siècle, pour n’en citer qu’un, ou plus proche de nous, à l’étonnant travail d’écriture syllabique francophone d’Olivier Monné, intitulé Linéaire Z. On ne peut manquer de citer Pierre di Sciullo qui continue aujourd’hui d’inventer des polices de caractères à contraintes spécifiques : le Paresseux qui arrive à produire par symétrie et rotation, les 26 lettres de l’alphabet et les 10 chiffres, avec seulement 9 formes de base ! Ou encore le Basnoda (police « symétrisée ») pour permettre la lecture de palindromes verticaux, retournables ligne à ligne.
Et nombreux sont les jeux de mot s’appuyant sur les images : calligrammes, dingbats, rébus, anamorphoses, réarrangements dans l’espace, lecture subliminale. Toutes ces figures sont amplement utilisées aujourd’hui jusque dans la publicité.
Chercher les formes cachées dans les structures les plus diverses
Tous ces jeux révélant ce que la lettre contient d’image ou faisant se rencontrer les mots écrits et les images (ayant souvent à voir avec les mathématiques, la géométrie…) ne produisent pas que du divertissement, ils vont toucher à des associations, des combinaisons auxquelles nous n’avons
plus accès, trop habitués à d’autres logiques.
Ces jeux sont aussi poétiques et nous font basculer dans des mondes perdus ou insoupçonnés.
C’est ce que rappelle l’anthologie poétique de Jean-François Bory, Calligrammes & Cie, etcaetera (Al Dante, 2009), recueil d’explosions typographiques et d’expérimentations poétiques.
La quintessence de l’histoire de ces mots-images peut également être trouvée dans la compilation de Jérôme Peignot Typoésie (Imprimerie Nationale, 1993).
Une contribution non négligeable est apportée par Douglas Hofstadter, dans Gödel, Escher Bach : les Brins d’une Guirlande Éternelle (InterEditions, édition originale 1979, traduction en français 1985). L’auteur, philosophe et spécialiste des sciences cognitives, étudie les mécanismes de la pensée qui l’amène, par analogie, à discerner et à comprendre les formes cachées dans les structures les plus diverses, tel ce cube ajouré dont les 3 projections horizontale, frontale et verticale sont respectivement G, B et H, ou un palindrome musical dans L’Offrande Musicale de Jean-Sébastien Bach ou encore les premiers ambigrammes de Scott Kim.
Mais toutes ces triturations de lettres et de textes qui leur sont attachés souffrent parfois d’un défaut inhérent à leur support à deux dimensions : impossible à animer, on doit pour beaucoup d’entre elles faire de gros efforts pour imaginer les transformations à l’oeuvre.
À travers ses mises en scène, dans l’espace et le temps, Pierre Fourny joue avec la langue, regarde les lettres de l’alphabet comme des images et se plaît à traquer le dess(e)in caché des mots écrits, mais il nous fait aussi spectateur du processus de métamorphose.
Alain Zalmanski
fondateur de l’OuGraPo, c’est lui aussi derrière Fatrazie
Des mots dans les mots
Ce que nous dit la « police de l’ombre », imaginée par Pierre Fourny.
Police Coupable, Police de l’Ombre, Central Police, Police de la Gravité… Ou la poésie à 2-mi mots
Au fil de ses créations, Pierre Fourny joue avec tous les procédés de sa Poésie à 2 mi-mots… qu’il continue à faire proliférer. La Poésie à 2 mi-mots s’attache d’abord à l’aspect visuel des mots et se fonde sur « la police coupable », police de caractères permettant de couper les mots en deux horizontalement et d’associer la moitié obtenue à une autre moitié pour former un nouveau mot.
Très vite, Pierre Fourny a fait développer un logiciel (le combinALISons), lui offrant la possibilité de trouver un nombre de combinaisons impossibles à saisir par un cerveau humain moyen, formé à la lecture dite « rapide et silencieuse ». Bientôt, la « police de l’ombre » allait également voir le jour (grâce au logiciel), révélant la présence de mots entires contenus dans d’autres (C’est le cas d’INFINI et de FAILLE contenus dans PAROLE). Aujourd’hui, d’autres polices s’imposent encore : la « centrale police », la « police de la gravité »…
La Poésie à 2 mi-mots est donc désormais une pratique regroupant différents procédés qui permettent de jouer d’une manière originale, sur scène et au-delà, avec la forme des mots.
La main qui saisit, qui désigne, qui écrit, fait exister des choses et fait même passer ces choses d’une réalité à une autre réalité : de l’osier au panier tressé, par exemple, ou encore de la chose au mot (qui n’est plus la chose elle-même mais qui pourtant la désigne et nous permet d’en parler… de vendre par exemple ce panier tressé sur ebay). Passer de la chose au mot, quand on y pense, nécessite d’opérer un drôle de petit saut sensible et intellectuel… Nous avons été dûment entraînés pour « sauter » ainsi… par l’apprentissage de notre langue orale, puis par l’apprentissage de l’écriture (d’abord) et de la lecture (ensuite).
Cet apprentissage nous fait admettre, aveuglément, une continuité de la chose au mot. Et pourtant, du mot à la chose, de la chose au mot, il y a un abîme tout au fond duquel la discontinuité échappe à nos esprits de lecteurs et de lectrices. Il faudrait désormais des ascenseurs dignes des mines les plus profondes pour remonter à la lumière le minerai de cette absolue altérité, dans son état d’incandescente incompatibilité à tout. Mais il risquerait d’irradier dangereusement le fragile pouding qui, à la surface, donne sa cohérence aux relations qu’entretiennent les mots, les choses, les sons, les tracés, les sens… Et puis, de toute façon, nous préférons lever les yeux au ciel.
Le corps est en proie au codage de la langue. Pierre Fourny prend un malin plaisir à sonder ces écarts que nous franchissons sans plus nous en apercevoir et à les mettre en lumière…
La Poésie à 2 mi-mots dévoie les mots écrits de leur sage alignement dans la phrase : il en part réellement une moitié ailleurs, des mots. Et à ce moment là, vertige, les moitiés de mots ne correspondent plus à aucun codage connu…
L’équipe d’ALIS
Impression 3D
Une communication en provenance du musée des arts du temps… à télécharger !
En exclusivité
La nouvelle tablette à impression 3D conçue pour Pierre Fourny par le MIT. Demain, c’est déjà aujourd’hui.
Dans le langage de Pierre, les possibilités des objets sont les actions que les objets eux-mêmes appellent, par leur forme, par leur nature, par leur matière, et les rapports possibles entre eux – et non le sens ou les rapports narratifs que le manipulateur déciderait de leur octroyer au préalable.
Une séquence est donc le fruit de ces possibilités articulées dans l’espace (les miroirs utilisés par le manipulateur et les reflets vus du seul spectateur) et dans le temps (partagé par un manipulateur et un spectateur).